Race et Histoire (1/4)

Race et Histoire (1/4)

La suppression de la Constitution du mot « race » a été votée le 12 juillet.

Parmi tous les livres, romans, monographies, intéressants et qui mériteraient d’être partagés, j’ai choisi Race et Histoire de Cl. LEVI-STRAUSS. Paru en 1952 aux éditions de l’UNESCO, il se compose de 10 petites parties contenues dans 85 pages. Il a été publié à l’occasion d’une campagne contre le racisme entreprise par l’UNESCO. Avertissement : je ne traite pas le livre de manière absolument linéaire. Si tu veux me faire part d’une remarque, tu as à ta disposition l’espace commentaires et l’espace forum.

Le mot « race »

Race, race est un mot banni de la Constitution française. Le racisme avait été banni de manière ontologique du dit texte, mais maintenant c’est le mot race qui ne doit plus être lu. Nous lirons « distinction d’origine ». Que se passe t-il si en voulant combattre le racisme nous n’utilisons plus le même vocabulaire que les groupes le promouvant ? Est-ce jouer sur les mots ?

Pourquoi serait-il absurde de condamner l’apologie du racisme en employant le mot race, racisme ? C’est à cette question que répond Lévi-Strauss dans une première partie Race et Culture : « Parler de contribution des races humaines à la civilisation mondiale pourrait avoir de quoi surprendre, dans une collection de brochures destinées à lutter contre le préjugé raciste. » Il nous propose là de définir les mots race et racisme. Il effectue une première distinction entre le racisme quantitatif et qualitatif, le premier cherche à montrer (toujours dans cette causalité) que parce que je suis de telle race alors je suis inférieur ou supérieur à tel autre individu appartenant à telle autre race. Le second cherche à montrer que parce que je suis de telle race alors je possède telle ou telle autre aptitude que les autres individus des autres races ne possèdent pas. La race se rattache à des caractéristiques biologiques, en particulier de couleur de peau. Cette thèse soutenue par Arthur de Gobineau (GOBINEAU 1884) est contestée par Lévi-Strauss : « Mais le péché originel de l’anthropologie consiste dans la confusion entre la notion purement biologique de race (à supposer, d’ailleurs, que, même sur ce terrain limité, cette notion puisse prétendre à l’objectivité ce que la génétique moderne conteste) et les productions sociologiques et psychologiques des cultures humaines. ». Il y a « confusion » et il ne faut pas se méprendre. D’une part, si le mot race apparaît ce n’est qu’une manière (très) maladroite de parler de culture. D’autre part, il ne s’agit pas non plus de dire que, parce qu’il existerait des races différentes cela créerait des cultures différentes. Il n’existe « aucune relation de cause à effet ».

Le deuxième mouvement de l’argumentation est en faveur de la séparation race et culture, c’est-à-dire du plan biologique et du plan intellectuel, historique, sociologique. Plus précisément, Lévi-Strauss éclaircit le terme « culture ».  En quoi la culture diffère t-elle de la race ? L’anthropologue montre que :

1) La diversité des cultures n’est pas due à des données biologiques

2) Il existe bien plus de cultures que de races

3) La culture est l’enjeu de nombreuses questions existentielles

La diversité des cultures

La deuxième partie questionne le terme de culture, Lévi-Strauss reprend l’idée selon laquelle il existe une grande diversité culturelle. Il essaie de trancher si « [la diversité entre les cultures] constitue pour l’humanité un avantage ou un inconvénient ». Pour ce faire, il entend « dresser l’inventaire » des différences.

Dans un premier temps, il se demande où faire cet inventaire : dans les sociétés contemporaines où qu’elles se trouvent géographiquement. Le mot-clef  de ce passage est « contemporaine ». Que veut dire par là Lévi-Strauss ? Tout simplement qu’il n’y a ni société « primitive », « première » qui appartiendrait à un passé ou à un âge d’or révolu. Le propre de l’ethnologue est d’aller au contact de société existant en ce moment. C’est une approche synchronique. L’étude des sociétés qui ont existées, il la laisse volontiers aux historiens et archéologues. Toutes les sociétés de ce jour sont contemporaines, par ce simple adjectif Lévi-Strauss tire un trait sur le paradigme évolutionniste. Ce courant porté notamment par  L. MORGAN, E.B. TYLOR ou encore J. FRAZER, admet une évolution des sociétés, tant sur le plan économique que celui du mariage ou encore de la religion. Les sociétés « primitives » seraient sur le premier échelon de l’évolution et ne seraient pas contemporaines des sociétés dites évoluées. Contemporain devient synonyme d’évolué et est construit en opposition au primitif. Or, en utilisant la métaphore des trains, LEVI-STRAUSS montre que le développement des sociétés/cultures est relatif au point de vue adopté : « pour un voyageur assis à la fenêtre d’un train, la vitesse et la longueur des autres trains varient selon que ceux-ci se déplacent dans le même sens ou dans un sens opposé. Or tout membre d’une culture en est aussi étroitement solidaire que ce voyageur idéal l’est de son train » (LEVI-STRAUSS 1973 : 396).

Maintenant que nous savons où faire l’inventaire, sur quel(s) plan(s) y a t-il des différences ? Tout d’abord il y a les sociétés qui ont constitué un tronc commun avec d’autres. Le tronc commun est établi par un rapport récent ou non entre deux sociétés, et il peut être le résultat de différents chemins, moyens. Il peut donc y avoir une différence dans le résultat final, mais aussi dans les moyens pour arriver au dit résultat final. Puis, une culture n’est pas uniforme et est soumise à « des forces travaillant dans des directions opposées » : soit vers des particularismes, soit vers la convergence par rapport à une autre société. L’exemple des langues est probant, et en particulier la colonne de Bastian SICK sur les anglicismes dans la langue allemande (SICK 2009).

Ensuite, Lévi-Strauss interroge les sociétés a priori sans rapports avec d’autres. Ce qu’il observe c’est que de toute façon, des groupes se constituent au sein de ces sociétés et forment ce qu’il appelle une « diversification interne ». La proximité est toujours de mise entre les individus d’une même société (même si elle est isolée) et les fait se différencier par un « désir de se distinguer, de s’opposer, d’être soi ». Il conclut par la possibilité d’un « optimum de diversité », il y aurait donc un niveau de diversité à ne pas dépasser, mais en dessous duquel il ne faut pas descendre, pour que la diversité soit un avantage. Cette optimum est propre à chaque culture et dépend, selon Lévi-Strauss, de 4 variables :

1) Le nombre de sociétés

2) L’importance numérique

3) L’éloignement géographique

4) Les moyens de communication

La diversité n’est pas un phénomène « statique », et on ne peut en faire un inventaire figé. En ce sens, le structuraliste s’oppose aux études des folkloristes qui produisent massivement, dès la fin du XVIIIème siècle jusque dans les années 1930, des catalogues d’objets, de savoirs, en particulier SEBILLOT P.. Ces catalogues servent en partie à enrichir les premiers musées (notamment le musée d’Ethnographie du Trocadéro et par la suite le musée national des arts et traditions MNATP ainsi que le musée de l’Homme).

Bibliographie

GOBINEAU (DE) A., 1884 [œuvre posthume] [1855], Essai sur l’inégalité des races humaines, Paris (France), Librairie de firmin-didot et cie (539 p.).

LEVI-STRAUSS C., 1961, Race et Histoire, Editions Gonthier (130 p.).

– 1962,  La Pensée Sauvage, Paris (France), Pocket (347 p.).

– 1973, Anthropologie structurale deux, Paris (France), Plon (450 p.).

SICK B., 2009, Der Dativ ist dem Genitiv sein Tod. Das Allerneueste aus dem Irrgarten der deutschen Sprache, vol. 4, Cologne (Allemagne), Kiepenheuer und Witsch (224 p.).

Pour aller plus loin :

ANGAUT J-C., 2002, Relativisme et anthropologie chez Claude Lévi-Strauss. Séminaire de DEA sur le relativisme, Octobre 2002, Nancy (France), 16 pages.

CHIVA I., 1987, “Entre livre et musée. Emergence d’une ethnologie de la France”, in CHIVA I. & JEGGLE U. (sous la dir. de), Ethnologies en miroir. La France et les pays de langue allemande, Paris (France), mission du patrimoine ethnologique/Ed. de la Maison des sciences de l’homme, pp. 9-33.

DESCOLA P., 2007, Par-delà Nature et Culture, Paris (France), Gallimard, « Bibliothèque des sciences humaines » (640 p.).

FOUCAULT M., 1969, Archéologie du Savoir, Paris (France), Gallimard (275 p.).

GOSSIAUX J-F., 2006, Du folklore à l’ethnologie française.

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