Race et Histoire (4/4)

Race et Histoire (4/4)

Ici s’achève le cycle d’articles sur Race et Histoire, dont l’introduction s’était centrée sur le sens du mot race. La notion d’histoire est travaillée tout au long de ce dernier article et il est temps de la mettre en écho avec la pensée structuraliste. Cette notion est centrale dans Race et Histoire, car Lévi-Strauss la dépeint comme l’instrument des théories primitivistes, évolutionnistes. De plus, le présent article vient comme une conclusion mais aussi comme une application des concepts développés précédemment. « Le Père noël supplicié » de Lévi-Strauss est une étude historique (et non historiciste) et symbolique des personnages des Saturnales, de la fête des Fous (ou des Innocents), de la fête de Noël. Ce texte permet de questionner la notion de « progrès » et d’ « histoire cumulative » et de la remplacer, ou compléter, par celle d’« historicité » (AMSELLE 2012). En effet, la fête de Noël telle qu’elle est pratiquée en Occident, plus précisément en France, est l’expression de divers emprunts et d’échanges entre d’autres fêtes. Lévi-Strauss voit en particulier des similitudes avec les Saturnales de l’antiquité romaine, la fête des Fous en France (XIIème-XVIIème siècles) et son homologue écossais. L’anthropologue fait un récit chronologique mais son analyse, elle, est attachée aux symboles plus qu’à l’histoire.

Les trois fêtes mises en comparaison (les Saturnales, la fête des Fous, la fête de Noël) sont d’abord une occasion donnée aux vivants de subvertir leurs statuts sociaux. Les Saturnales, fête donnée en l’honneur de Saturne qui symbolise le retour du Soleil, le temps qui s’écoule, permettent de subvertir l’ordre social, d’inverser les classes dominantes et dominées ou au moins d’instaurer une certaine égalité entre les statuts. De manière caricaturale, le maître de la maison peut devenir esclave et inversement. Dans certains écrits, un esclave est même désigné roi, celui de la décadence. La fête des Fous reprend les mêmes codes que les Saturnales, Victor Hugo a par ailleurs ouvert « Notre Dame-de-Paris » (HUGO 1831) sur cet évènement :

« Le 6 janvier, ce qui mettait en émotion tout le populaire de Paris, comme dit Jehan de Troyes, c’était la double solennité, réunie depuis un temps immémorial, du jour des Rois et de la fête des Fous. […] Le peuple affluait surtout dans les avenues du Palais de Justice, parce qu’on savait que les ambassadeurs flamands, arrivés de la surveille, se proposaient d’assister à la représentation du mystère et à l’élection du pape des fous, laquelle devait également se faire dans le grand’salle. »

Puis l’écrivain décrit comment se déroule l’élection du pape des fous sur la proposition du chaussetier Coppenole de Gand :

« Ce n’est pas là ce qu’on m’avait dit ; on m’avait promis une fête des fous, avec élection du pape. Nous avons aussi notre pape des fous à Gand ; et en cela nous ne sommes pas en arrière, croix-Dieu ! mais voici comme nous faisons : on se rassemble en cohue, comme ici ; puis chacun à son tour va passer sa tête dans un trou, et fait une grimace aux autres ; celui qui fait la plus laide, à l’acclamation de tous est élu pape ; voilà. »

Plus loin, l’enjeu de ce spectacle est expliqué : « L’attention populaire, comme le soleil, poursuivait sa révolution […] Le champ était désormais libre à toute folie. » Il s’agit de laisser le désordre, représenté par le peuple de basse ascendance, instaurer un nouvel ordre pour une certaine période. Ordre et désordre entrent alors en cohérence, dans la mesure où le désordre n’intervient que pour rétablir un certain ordre. D’un part, l’ordre n’est que par rapport à quelque chose, soit du désordre même diffus, imperceptible ; d’autre part le désordre, bien qu’il puisse remettre en cause l’ordre existant pour créer du nouveau, en tant que révolution, est un résultat de l’histoire qu’il cherche à arrêter. Ce sont ces mouvements vers de la nouveauté qui sont joués et symbolisés dans ces fêtes et ces « rois d’un jour ».
La fête de Noël, nous dit Lévi-Strauss, n’y coupe pas : elle est la fête chrétienne de la Nativité, elle est la fête païenne de la victoire contre la mort (précédée de la fête de la Toussaint). Dans sa formulation païenne, le Père Noël, en tant qu’il l’orchestre, fait figure de régulation du désordre. Les enfants occupent le premier rôle et reçoivent des cadeaux des adultes. Dans l’article d’Emmanuel Pasquier , publié sur Mediapart, il est question d’altérité, ceux en faisant partis sont acteur du désordre en changeant de rôle. J’y vois plutôt une question de minoration, de non-autonomie. En effet, l’autorité ainsi annulée des adultes sur les enfants, met à jour une notion de dépendance et d’autonomie. Les enfants sont considérés comme plus faibles dès leur naissance et placés sous la responsabilité d’adultes, dont ils dépendent. Or, lors de la fête de Noël « les adultes comblent les enfants pour exalter leur vitalité » (LEVI-STRAUSS 1952), la relation de dépendance s’effectue donc dans les deux sens. Les enfants représentent un nouveau souffle pour l’histoire et les adultes, représentants l’ordre instauré, semblent le préserver pour le voir s’épanouir. Dans « Le Père Noël supplicié », Lévi-Strauss analyse un fait divers dijonnais où une représentation du Père Noël a été mise au bucher. Il s’agissait d’un acte appuyé par le clergé de Dijon contre la paganisation de la fête chrétienne. En observant ce qui a été dit plus haut, le pendant païen de Noël remplit symboliquement les mêmes fonctions que la Nativité. L’existence conjointe de ces deux fêtes rappelle les Saturnales, où le culte rendu n’était qu’une partie dans la fonction politique de réécriture du contrat social. Un article de Guillaume Erner , publié sur France Culture, propose une analyse sur le plan symbolique de l’ attentat sur le marché de Noël de Strasbourg, le 11 décembre 2018. Dans un sens attaquer le marché de Noël c’est attaquer une « incarnation du paganisme », un mode de vie occidental.
Enfin, le texte de Lévi-Strauss, ne montre pas l’histoire comme une continuité. D’une part car elle est marquée par des « brèches » (DOSSE 2003), du nouveau, d’autre part parce que l’acception univoque de la société est impossible. La fête de Noël, telle qu’elle est pratiquée en France, a subit des influences extérieures, notamment d’Outre-Rhin, mais elle est aussi une réappropriation par ceux qui la pratiquent, qui lui donnent des valeurs. Au mieux l’on peut parler d’une historicité (AMSELLE 2012) de la fête de Noël, on ne saurait faire que d’autres fêtes similaires aient eu lieu, que les cultures soient en contact, en d’autres termes l’ethnicisation ne correspond à aucune réalité (AMSELLE 2012). Mais, en aucun cas, Lévi-Strauss ne soutient qu’il faille extraire un fait social de son contexte historique, ou au contraire ne tenir compte que de ce dernier. En effet, toujours dans une critique, néanmoins plus diffuse, de l’évolutionnisme, il s’oppose à une lecture diachronique, instaurant des stades dans l’histoire.
Ce faisant, pour reprendre la pensée hégelienne (HEGEL 2011), l’histoire n’est pas un moyen d’anticiper l’avenir au vu des évènements passés, d’autant plus qu’elle relève d’une subjectivité partielle. En effet, selon l’époque et la société dans lesquelles vit l’historien, l’interprétation des données et l’accès aux données ne seront pas les mêmes. Or, une fonction de l’historien est de réinterpréter des faits pour donner une vérité. Les acteurs du désordre peuvent exercer la même fonction, puisque, en réinterprétant l’histoire dans un acte politique violent, ils peuvent instaurer une nouvelle vérité, un nouvel ordre valable. Pour Georges Orwell dans « 1984 » (ORWELL 1984) : « A une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire. »

Plus loin, l’enjeu de ce spectacle est expliqué : « L’attention populaire, comme le soleil, poursuivait sa révolution […] Le champ était désormais libre à toute folie. » Il s’agit de laisser le désordre, représenté par le peuple de basse ascendance, instaurer un nouvel ordre pour une certaine période. Ordre et désordre entrent alors en cohérence, dans la mesure où le désordre n’intervient que pour rétablir un certain ordre. D’un part, l’ordre n’est que par rapport à quelque chose, soit du désordre même diffus, imperceptible ; d’autre part le désordre, bien qu’il puisse remettre en cause l’ordre existant pour créer du nouveau, en tant que révolution, est un résultat de l’histoire qu’il cherche à arrêter. Ce sont ces mouvements vers de la nouveauté qui sont joués et symbolisés dans ces fêtes et ces « rois d’un jour ».
La fête de Noël, nous dit Lévi-Strauss, n’y coupe pas : elle est la fête chrétienne de la Nativité, elle est la fête païenne de la victoire contre la mort (précédée de la fête de la Toussaint). Dans sa formulation païenne, le Père Noël, en tant qu’il l’orchestre, fait figure de régulation du désordre. Les enfants occupent le premier rôle et reçoivent des cadeaux des adultes. Dans l’article d’Emmanuel Pasquier , publié sur Mediapart, il est question d’altérité, ceux en faisant partis sont acteur du désordre en changeant de rôle. J’y vois plutôt une question de minoration, de non-autonomie. En effet, l’autorité ainsi annulée des adultes sur les enfants, met à jour une notion de dépendance et d’autonomie. Les enfants sont considérés comme plus faibles dès leur naissance et placés sous la responsabilité d’adultes, dont ils dépendent. Or, lors de la fête de Noël « les adultes comblent les enfants pour exalter leur vitalité » (LEVI-STRAUSS 1952), la relation de dépendance s’effectue donc dans les deux sens. Les enfants représentent un nouveau souffle pour l’histoire et les adultes, représentants l’ordre instauré, semblent le préserver pour le voir s’épanouir. Dans « Le Père Noël supplicié », Lévi-Strauss analyse un fait divers dijonnais où une représentation du Père Noël a été mise au bucher. Il s’agissait d’un acte appuyé par le clergé de Dijon contre la paganisation de la fête chrétienne. En observant ce qui a été dit plus haut, le pendant païen de Noël remplit symboliquement les mêmes fonctions que la Nativité. L’existence conjointe de ces deux fêtes rappelle les Saturnales, où le culte rendu n’était qu’une partie dans la fonction politique de réécriture du contrat social. Un article de Guillaume Erner , publié sur France Culture, propose une analyse sur le plan symbolique de l’ attentat sur le marché de Noël de Strasbourg, le 11 décembre 2018. Dans un sens attaquer le marché de Noël c’est attaquer une « incarnation du paganisme », un mode de vie occidental.
Enfin, le texte de Lévi-Strauss, ne montre pas l’histoire comme une continuité. D’une part car elle est marquée par des « brèches » (DOSSE 2003), du nouveau, d’autre part parce que l’acception univoque de la société est impossible. La fête de Noël, telle qu’elle est pratiquée en France, a subit des influences extérieures, notamment d’Outre-Rhin, mais elle est aussi une réappropriation par ceux qui la pratiquent, qui lui donnent des valeurs. Au mieux l’on peut parler d’une historicité (AMSELLE 2012) de la fête de Noël, on ne saurait faire que d’autres fêtes similaires aient eu lieu, que les cultures soient en contact, en d’autres termes l’ethnicisation ne correspond à aucune réalité (AMSELLE 2012). Mais, en aucun cas, Lévi-Strauss ne soutient qu’il faille extraire un fait social de son contexte historique, ou au contraire ne tenir compte que de ce dernier. En effet, toujours dans une critique, néanmoins plus diffuse, de l’évolutionnisme, il s’oppose à une lecture diachronique, instaurant des stades dans l’histoire.
Ce faisant, pour reprendre la pensée hégelienne (HEGEL 2011), l’histoire n’est pas un moyen d’anticiper l’avenir au vu des évènements passés, d’autant plus qu’elle relève d’une subjectivité partielle. En effet, selon l’époque et la société dans lesquelles vit l’historien, l’interprétation des données et l’accès aux données ne seront pas les mêmes. Or, une fonction de l’historien est de réinterpréter des faits pour donner une vérité. Les acteurs du désordre peuvent exercer la même fonction, puisque, en réinterprétant l’histoire dans un acte politique violent, ils peuvent instaurer une nouvelle vérité, un nouvel ordre valable. Pour Georges Orwell dans « 1984 » (ORWELL 1984) : « A une époque de supercherie universelle, dire la vérité est un acte révolutionnaire. »

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