Kôlam et theorycraft

Le rapprochement que j’effectue entre les logiques du kôlam et la theorycraft me vient tout droit du PSL 2019, en particulier le séminaire “Platform Capitalism” de Petros Petridis, conférencier à l’université de Thessalie. (voir les articles sur le PSL 2019)

Des chercheurs en mathématiques et informatique ont dégagé des structures logiques au dessin d’un certain type de kôlam, appelé sikku kôlam (NARANAN 2016, WARING 2013, YANAGISAWA et NAGATA 2007, SUBRAMANIAN, SARAVANAN et ROBINSON 2007, ALLOUCHE, ALLOUCHE et SHALLIT 2006, … ). Ces logiques définissent un algorithme propre au kôlam, dessiner un kôlam reviendrait alors à tracer une succession d’étapes finies et reproductibles. Pour reprendre les derniers travaux d’encodage du kôlam, R. Govindaraj et A. Mahendran (2018) développent une grammaire du kôlam à partir de 20 règles, qui constituent ensuite un alphabet.  Cela suppose que les artistes connaissent ces règles, apprises la plupart du temps par imprégnation, et les appliquent.

Tout se passe comme si, par la répétition d’un geste vu et reproduit, les artistes incorporent ces règles et expriment par elles leur rythme corporel (LAINE 2013). Outre l’embodiement de gestes algorithmiques, cette interaction artiste-algorithme trouve une traduction dans la theorycraft ou la théorie des jeux. L’expression artistique personnelle ne serait permise que par la compréhension totale du kôlam en tant qu’algorithme et en tant qu’allégorie de la société tamoule. L’artiste doit se saisir consciemment ou non de l’algorithme du kôlam, de son alphabet, de ses règles. Tout comme il doit se saisir de cette allégorie pour atteindre certains objectifs sociaux.

Le kôlam a un pouvoir sur les corps et tout particulièrement sur le genre (LAINE 2009) et la place des corps dans la société. L’identité de l’artiste est rejouée en performant le kôlam, en même temps que par le biais du kôlam la société surveille, contrôle et discipline. L’artiste est invité à jouer avec son identité qui devient flexible tout en ayant conscience du contrôle exercé par la société contemporaine. Selon cette analyse le kôlam est un instrument de contrôle et un instrument de création (identitaire et artistique, les deux étant étroitement liées), il est ambivalent.

Se placer dans le cadre de la théorie des jeux pour examiner le kôlam permettrait de comprendre comment la création de nouveaux sikku kôlam s’inscrit dans la norme. Ou plutôt, quels kôlam créer pour atteindre une certaine identité. Je prends en effet le parti d’une utilisation plus normative de la théorie des jeux. Elle permet de penser les choix des artistes mais pas de prédire leur comportement. Néanmoins, on peut passer par une théorie des jeux comportementale, c’est-à-dire plus descriptive, en menant une enquête anthropologique. Dans mon cas, je me demande ce que font effectivement les professeurs occidentaux qui utilisent le kôlam en classe et quels effets recherchent-ils ? Ce passage est nécessaire si l’on cherche à systématiser l’utilisation du kôlam dans l’enseignement des mathématiques. Autrement dit comme devrait être utilisé le kôlam dans l’absolu, dans l’enseignement des mathématiques ?

Pour finir voici deux remarques, il ne faut pas forcément voir l’encodage séquentiel du kôlam, sous forme d’algorithmes, comme un frein à la création artistique. Un algorithme est avant tout un système auto-poïétique, L’algorithme soutenant le sikku kôlam génère des possibilités de création, à condition qu’elles permettent à l’algorithme de continuer à tourner. D’autre part, si l’on utilise la théorie des jeux pour analyser le sikku kôlam, il faut aussi définir les caractéristiques du « jeu » du kôlam, comme on le ferait pour un jeu stricto sensus. Cette analyse deviendrait d’autant plus intéressante si l’on est face à un jeu bayésien…

Bibliographie

ALLOUCHE, G., ALLOUCHE J-P., et SHALLIT J., 2006, « Kolam indiens, dessins sur le sable aux îles Vanuatu, courbe de Sierpinski et morphismes de monoïde ». Annales de l’institut Fourier 56, no 7 : 2115‑30. https://doi.org/10.5802/aif.2235.

GOVINDARAJ, R., et MAHENDRAN A., 2018, « Generating Various Kolam Patterns Using New Kolam Picture Grammar ». International Journal of Internet Technology and Secured Transactions 8, no 2 : 209. https://doi.org/10.1504/IJITST.2018.10014559.

LAINE, A., 2013, « Kolam Patterns as Materialisation and Embodiment of Rhythms ». Anthrovision, no 1.2 (9 avril 2013). https://doi.org/10.4000/anthrovision.607.

2009, « In Conversation with the Kolam Practice: Auspiciousness and Artistic Experiences among Women in Tamilnadu, South India ». University of Gothenburg, School of Global Studies.

NARANAN, S., 2016, « Fibonacci Kolams — An Overview », s. d., 15.

SUBRAMANIAN K. G., SARAVANAN R., et ROBINSON T., 2007, « P Systems for Array Generation and Application to Kolam Patterns », 8.

WARING, T. M., 2013 « Sequential Encoding of Tamil Kolam Patterns », s. d., 11.

YANAGISAWA K. et NAGATA S., 2007, « Fundamental Study on Design System of Kolam Pattern », s. d., 17.

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