“Portraits d’ethnologues”

“Portraits d’ethnologues”

Les samedi et dimanche 9 et 10 février 2019, le musée des confluences conviait le grand public aux projections de ciné-ethnographiques « portraits d’ethnologues ». Je survole ici les films du dimanche, centrés sur les travaux ethnographiques de Jean Rouch, et comportant un entretien avec Germaine Dieterlen. Bref, il s’agit d’un voyage en Afrique. Des films sélectionnés, je retiens, « Les maîtres fous » » et « La sœur des masques » pour les nombreuses réactions qu’ils ont suscitées pendant la projection.

« Les maîtres fous » a choqué une partie du public par ses scènes de possession et de transe. Alors que les protagonistes, membres de la secte d’Accra au Ghana, faisaient mousser leur bave et se demandaient s’ils allaient manger le chien sacrifié cru ou cuit, l’auditoire laissait entendre sa réprobation. Qu’est-ce que cette scène nous donne à comprendre ? Au vu des films dits gores, sanglants, que produit le cinéma actuel, on pourrait se dire que des gens, eux, réels qui ne font que baver et sacrifier un animal, ne devraient pas choquer. Et pourtant… Et pourtant, nous explique le maître de séance ce film ethnographique a aussi été très mal reçu en 1952, et continue de faire parler le grand public. Est-ce que la proximité instaurée par la caméra ethnographique rompt avec une distanciation bien établie dans le cinéma ? Il semblerait en effet, que cette proximité du réel, et en même temps la différence culturelle, créé de l’étrangeté. Je m’appuie ici sur la théorie de « la vallée de l’étrange » de Masahiro Mori, qu’il applique aux robots. Sans statuer sur le degré de véracité de cette théorie, elle nous éclaire sur un point : il semblerait que la rupture de distance instaurée par la caméra ethnographique et l’accentuation de pratiques « divergentes », pour l’œil occidental, produisent un sentiment de dégoût, de répulsion, de rejet.

La réception de l’entretien avec Germaine Dieterlen était plus positive. A cause du caractère de G.Dieterlen et de ses expressions langagières, du fait aussi du respect qui lui est porté pour être une sœur des masques. Ce titre unique est acquis par ses participations à plusieurs cérémonies du Sigi, chez les Dogons. C’est à cette occasion que J.Rouch et G.Dieterlen réalisent ensemble 7 films. Mais, c’est moins pour son travail en tant qu’ethnologue, que pour sa prise de position contre le féminisme des années 90, que le public réagit. G.Dieterlen, pour qui la principale fonction de la femme est de faire des enfants, ouvre un débat intergénérationnel. Dans la salle de projection, c’est au public de remettre le propos de l’ethnologue dans son contexte, dans son époque. On peut supposer, que, de ce décalage discursif entre les générations, naît le sourire voir le rire du public.

La réception d’une œuvre, cinématographie ou autre, nous en dit donc parfois plus sur la société de réception et sa vision du monde, que sur l’œuvre en elle-même. Le cinéma ethnographique n’est pas seulement une capture sensible, il doit aussi être pensé comme producteur d’émotions. D’ailleurs comme l’anthropologie littéraire, son but premier n’est-il pas justement de provoquer une réaction en nous, pourvu qu’elle soit suivie d’une réflexivité ? Qu’est-ce que notre réaction face à un acte de possession, dit de notre rapport à cet acte, et qu’est-ce que ce rapport dit de nous ?

Référence :

Mori M., 1970,  The uncanny valley. Energy, vol. 7 (4)‎, 33–35.

Accès :

Initiation à la danse des possédés est disponible sur le site de la vidéothèque du CNRS.

Cimetière dans la falaise et La sœur des masques sont disponibles sur youtube (mais en versions tronquées).

Les maîtres fous est disponible sur youtube.

http://www.museedesconfluences.fr/fr/evenements/portraits-d’ethnologues

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